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Maupasssant rencontre les peintres

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Maupasssant rencontre les peintres Empty Maupasssant rencontre les peintres

Message  Ulysse92 Dim 2 Jan 2011 - 23:31

ÉTRETAT ET LES PEINTRES

À Étretat, Maupassant apprend aussi à regarder le travail des peintres, nombreux à avoir choisi le pittoresque petit port de pêche. Extrait de "La Vie d’un paysagiste", article paru dans le Gil Blas du 28 septembre 1886.

Parfois, je m'arrête, stupéfait d'observer tout à coup des choses éclatantes dont je ne m'étais jamais douté ! Regarde les arbres et l'herbe en plein soleil, et essaie de les peindre. Tu essaieras. Tout le monde a fait du paysage au soleil, parce que tout le monde est aveugle. Mon cher, les feuilles, l'herbe, tout ce que le soleil frappe en plein n'est plus coloré, mais luisant, et d'un luisant tel que rien ne le peut rendre. Or on ne saurait peindre ce qui brille ; on ne saurait même en donner l'illusion.



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L'an dernier, en ce même pays, j'ai souvent suivi Claude Monet à la recherche d'impressions. Ce n'était plus un peintre, en vérité, mais un chasseur. Il allait, suivi d'enfants qui portaient ses toiles, cinq ou six toiles représentant le même sujet à des heures diverses et avec des effets différents. Il les prenait et les quittait tour à tour, suivant les changements du ciel. Et le peintre, en face du sujet, attendait, guettait le soleil et les ombres, cueillait en quelques coups de pinceau le rayon qui tombe ou le nuage qui passe, et, dédaigneux du faux et du convenu, les posait sur sa toile avec rapidité. Je l'ai vu saisir ainsi une tombée étincelante de lumière sur la falaise blanche et la fixer à une coulée de tons jaunes qui rendaient étrangement le surprenant et fugitif effet de cet insaisissable et aveuglant éblouissement. Une autre fois, il prit à pleines mains une averse abattue sur la mer, et la jeta sur sa toile. Et c'était bien de la pluie qu'il avait peinte ainsi, rien que de la pluie voilant les vagues, les roches et le ciel, à peine distincts sous ce déluge.



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Et je me souviens encore d'autres artistes que j'ai vus travailler jadis dans ce vallon d'Étretat. Un jour, j'étais très jeune encore, et je suivais la ravine de Beaurepaire, quand j'aperçus dans une ferme, dans une petite ferme, un vieil homme en blouse bleue qui peignait sous un pommier. Il paraissait tout petit, accroupi sur son pliant ; et, cette blouse de paysan m'enhardissant, je m'approchai pour le regarder. La cour était en pente, entourée de grands arbres que le soleil, près de disparaître, criblait de rayons obliques. La lumière jaune coulait sur les feuilles, passait à travers et tombait sur l'herbe en pluie claire et menue. Le bonhomme ne me vit pas. Il peignait sur une petite toile carrée, doucement, tranquillement, sans presque remuer. Il avait des cheveux blancs, assez longs, l'air doux et du sourire sur la figure. Je le revis le lendemain dans Étretat, ce vieux peintre s'appelait Corot.


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Une autre fois, deux ou trois ans plus tard, j'étais venu sur la plage, pour voir un ouragan. Le vent furieux jetait sur le pays la mer déchaînée, dont les vagues, énormes, s'en venaient lourdement, l'une après l'autre, lentes et coiffées d'écume. Puis, rencontrant soudain la dure pente de galet, elles se redressaient, se courbaient en voûte et s'écroulaient avec un bruit assourdissant. Et, d'une falaise à l'autre, la mousse, arrachée de leurs crêtes, s'envolait en tourbillons et s'en allait vers la vallée, par-dessus les toits du pays, emportée par les bourrasques. Un homme dit soudain près de moi : « Venez donc voir Courbet, il fait une chose superbe. » Ce n'était point à moi qu'on avait parlé, mais je suivis, car je connaissais un peu l'artiste. Il habitait une petite maison donnant en plein sur la mer, et appuyée à la falaise d'aval. Cette maison avait appartenu d'ailleurs au peintre de marines Eugène Le Poittevin. Dans une grande pièce nue, un gros homme graisseux et sale collait avec un couteau de cuisine des plaques de couleur blanche sur une grande toile nue. De temps en temps, il allait appuyer son visage à la vitre et regardait la tempête. La mer venait si près qu'elle semblait battre la maison, enveloppée d'écume et de bruit. L'eau salée frappait les carreaux comme une grêle et ruisselait sur les murs. Sur la cheminée, une bouteille de cidre à côté d'un verre à moitié plein. De temps en temps, Courbet allait en boire quelques gorgées, puis il revenait à son œuvre. Or cette œuvre devint La Vague et fit quelque bruit par le monde. Trois hommes causaient dans un coin de l'atelier. Il y avait là, si je ne me trompe, Charles Landelle. Et Courbet aussi parlait, lourd et gai, farceur et brutal. Il avait un esprit pesant, mais précis, plein de bon sens paysan, caché sous de grosses blagues. Il disait devant une Sainte-Famille que lui montrait un confrère : « C'est très beau ça. Vous les avez donc connus, ces gens-là, que vous avez fait leur portrait ! »

Que d'autres peintres j'ai vus passer par ce vallon, où les attirait sans doute la qualité du jour, vraiment exceptionnelle ! Car le jour, à quelques lieues de distance, est aussi différent que les vins du Bordelais. Ici, la lumière est éclatante sans être crue ; tout est clair sans être brutal, et tout se nuance d'une admirable façon.
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